Build a fire

Série de gravures réalisée avec Justine Daufresne.

 

Les trois gravures présentées d’Elsa Fauconnet et Justine Daufresne à l’ENS, sont extraites d’une série qui en compte vingt, Construire un feu, du nom d’une nouvelle de Jack London qui raconte la lutte pour la survie d’un homme dans le Grand Nord, alors qu’un froid polaire menace et qu’il n’a pas d’abri. Les gravures juxtaposent les chiens de la meute, les formes noires et anguleuses d’un abri, qui peut aussi être perçu comme une menace, et des formes de barrières, de clôture : ici tout est question de parcours, d’un territoire au sein duquel on tente de survivre : le personnage de London meurt de froid, il disparaît dans la neige comme il pourrait disparaître dans le blanc du papier. Une silhouette, échappée d’une photographie de presse, brouillée par la trame d’impression, rappelle l’actualité de ces migrations pour la survie. Le dessin brouillé des chiens, superposés comme une meute, sans pattes et parfois sans tête, évoque les animaux gravés de l’art pariétal, aux vertus magiques et aux formes inachevées. Les formes anguleuses noires, aux antipodes de cette fragilité, évoquent une géométrie rationnelle, froide et pesante. Cette tension rappelle les deux grandes orientations des anecdotes sur l’art des images et la vie des artistes évoquées par Pline dans l’Histoire naturelle : tantôt Pline renvoie aux origines archaïques des images, une éponge mouillée, une ombre projetée sur un mur ; tantôt les récits mettent en scène la quête de perfection des peintres, leur capacité à produire des formes abstraites qui est la preuve de leur maîtrise : les cercles parfaits d’Apelle, les lignes infinitésimales d’Apelle et de Protogène. Tout se situe entre ces deux extrêmes que sont la tache et la forme géométrique, entre l’impulsion et la précision. Avec ce groupe de chiens errants, surgis d’un rêve, qui court de planche en planche, et ces formes rigides qui menacent ou barrent l’espace, ce sont ces extrêmes du dessin, antagonistes et complémentaires, que les gravures d’Elsa et Justine mettent en scène.

Julien Magnier, http://cimaises.over-blog.com